
Rédaction
Les idées flottent dans l’air – Partie I
Il est difficile aujourd’hui de créer quelque chose de fondamentalement original. Stanley Kubrick aurait déjà dit à Jack Nicholson : « Tu sais, d’une certaine façon, toutes les scènes ont déjà été faites au cinéma. Notre boulot sera simplement de les faire un peu mieux. » (Kubrick, Michel Ciment, Paris, Calmann-Lévy, 1999, p. 295). Alors que nous avons aisément accès à la connaissance accumulée depuis des siècles, il est difficile de prétendre que celle-ci n’existe pas.
Dans une entrevue qu’il accordait, Sam Mendes indiquait que le Dark Knight de Nolan avait été une révélation dans son approche du dernier James Bond : « The Dark Knight Skyfall: New Bond Director Drew Inspiration From Nolan’s Batman. », Russ Burlingame, 19 octobre 2012). Mais, parallèlement, Darren démontre, dans son analyse, que le Batman de Nolan doit beaucoup à la franchise des James Bond : « What Bond Learned From Batman: The Dark Knight & Skyfall […] ». (Darren, them0vieblog.com, 26 octobre 2012). Il ajoute que ce jeu d’influence réciproque n’est pas à dédaigner si on en tire les bonnes leçons.
Les commentaires des fans
Dans une entrevue qu’il accordait au magazine Internet The Beat, Bill Jemas, fondateur de la société 360eps et ancien membre de l’équipe Marvel, déclarait : « You can be more creative for less money and less time with better feedback with comics than in any medium I’ve ever been around.» (« Interview: Former Marvel COO Bill Jemas tells us how to wake the F#ck up », comicsbeat.com, 13 septembre 2012). Marc Alan Fishman va dans le même sens lorsqu’il affirme qu’il a pu gérer les risques de ses projets créatifs en écoutant les commentaires de ses vrais fans (« Everything We Do, Wo Do it For You », Marc Alan Fishman, comicmix.com, 27 octobre 2012).
Sans nier la valeur des commentaires reçus, il faut savoir discerner les changements que l’on fait pour améliorer le produit et les changements que l’on effectue uniquement pour plaire à nos lecteurs. À ce sujet, Jesse Alexander disait, à propos de la troisième saison de la série télé Alias, définitivement la plus mauvaise saison de la série : « […] and we’d change up things a little based on on viewers reactions to certains things. But because we didn’t have any chance to deal with that the year [season four], we’ve been operating in a vacuum where we’ve really been free to craft a story without any outside influence. I think that’s probably helped us stay focused on our goal for the end of the year. » (« Revelations », Alias –The offocial Magazine, vol. 1, n° 10, mai-juin 2005, p.64-65.)
L’idée n’est pas de rejeter les commentaires des lecteurs, au contraire. Mais, si l’on écrit, c’est que l’on a quelque chose à dire. À ce propos, Mark Waid disait : « Il faut chercher à se plaire à soi-même. Naturellement en fin de parcours, si votre travail est lu par plusieurs autres personnes, cela dépend plus ou moins de vous » (Interview # 22 – Mark Waid, www.comicsreporter.com, 10 janvier 2013).
Gérer vos concepts
François Cardinal commentait le film Promised Land pour lequel il écrivait sur son blogue : « j’ai simplement eu la confirmation de ce que je pense depuis longtemps : l’écologie fait rarement de bonnes œuvres, tout simplement parce que les convictions de l’auteur prennent toute la place aux dépens du récit. » (« Terre promise : quand la fiction se met au service de l’écologie… », lapresse.ca, lundi 7 janvier 2013). Burlingame, citant de nombreuses règles d’écriture, indiquait : « Give your characters opinions. Passive/malleable might seem likable to you as you write, but it’s poison to the audience. » (Pixar and Joss Whedon’s Rules For Writers, Russ Burlingame, comicbook.com, 8 décembre 2012).
Nous sommes parfaitement en accord avec ces deux premières affirmations. Nous estimons, en effet, que donner son opinion par l’entremise de ses personnages fait disparaître la fiction au profit de l’essai, qui est nettement un autre genre littéraire. Il y a aussi une forme de fraude vis-à-vis du lecteur à qui on promet un moment de détente alors que l’on tente, lentement, de lui laver le cerveau avec nos lubies.
Par ailleurs, nous croyons que la manipulation des concepts doit se faire tout aussi délicatement dans une œuvre de fiction. Ainsi, dans son analyse du film Dark Knight Rises, Sebala souligne que « The Dark Knight Rises suffers so mightily because it substitutes twists for character arcs, convenience for hard choices and flashbacks for discernible themes ». (Sound and Fury: ‘The Dark Knight Rises’ Against Theme and Story, Christopher Sebela, comicsalliance.com, 27 juillet 2012). Ainsi, nos bonnes idées peuvent venir écraser notre histoire au détriment de nos personnages et du récit que nous souhaitons poursuivre.
Concevoir un plan et être capable d’en dévier – Partie II
L’aventure « La Transaction » ne faisait pas partie de notre plan initial, elle a été ajoutée pour boucher un trou temporel entre deux événements marquants de notre programmation. Le personnage de Balthazar a été développé à cet effet. En fait, une bonne partie des aventures des années 1993 et 1994 ont pour objectifs de combler ce vide. L’éditeur Jordan D. White résume bien la situation : « But it’s always important to keep those long-term plans as loose as possible—there is a really good chance that by the time we finish writing the first arc, we’re going to have a different idea of where we’re going than we started with—or at least a different idea of how to get there.» (« Jordan D. White reveals the secrets of editing », Steve Morris, comicsbeat.com, 21 octobre 2012).
Concevoir un plan et être capable d’en dévier – Partie I
À la conclusion de ses années de service chez Marvel, principalement pour la série Captain America, Ed Brubaker fit les réflexions suivantes : « I hoped for two years, and planned for three, because three years was about the longest I’d stayed on any other book. My pitch document had the first 12 issues mapped out, which I mostly stuck to, actually, and then sketched out the next year in broad strokes. I never imagined I’d go even 50 issues, let alone the I think 102 issues I did, counting mini-series and one-shots and annuals. » Il ajouta aussi : « More than anything, it was that each issue kept wanting to be longer or I kept feeling like I had more ideas and wanted to spend more time with the characters, and realized I was stopping myself from doing that with an arbitrary structure I’d imposed on myself. » (« The Ed Brubaker « Captain America » Exit Interview », David Brothers, comicsalliance.com, 1er novembre 2012).
Il y a donc deux idées qui se confrontent ici. L’idée du plan qui guide l’auteur et la flexibilité que ce dernier doit conserver pour intégrer de nouvelles idées ou de nouveaux développements qui n’avaient pas été initialement envisagés. Pour notre part, parmi les idées qui ont évolué, il y a celle de l’anonymat de Votan. Au départ, son identité devait demeurer mystérieuse pendant plusieurs aventures, pour ne pas dire jusqu’à la toute fin, mais nous avons abandonné cette avenue et avons préféré révéler rapidement son identité, une option qui ouvrait davantage de perspectives dramatiques.
Émailler le récit d’événements afin de créer une réelle avancée
Il y a quelques mois, nous regardions le quatrième volet de la série Mission impossible et nous ne pouvions que nous demander, de scène en scène, « pourquoi? ». Pourquoi chaque opération qui devait faire progresser la mission de l’équipe tournait-elle à l’échec? Pourtant, par un retournement, souvent possible au départ, l’équipe aurait été en mesure d’atteindre le but qu’elle s’était fixé. Par exemple, bien que la mission d’envahir le Kremlin pour découvrir l’identité du criminel échoue, le grand patron vient révéler l’identité du méchant que l’on recherchait. On peut alors se poser la question : pourquoi prendre un chemin si long alors qu’un raccourci est disponible? On comprend toutefois le défi du scénariste qui doit construire une aventure ayant une certaine durée. Mais faire tant de circonvolutions ne nous semble pas être une bonne façon pour créer un bon suspense. Comme le disaient les directives de la rédaction de Pixar : « qu’un personnage tombe par hasard dans une situation problématique, c’est de bonne guerre, qu’il s’en sorte par hasard est vraiment ennuyant » (Pixar and Joss Whedon’s Rules For Writers, Russ Burlingame, comicbook.com, 8 décembre 2012).
Dans votre aventure « Un homme mort » pourquoi Jason ne réagit-il pas après avoir poignardé Tucker?
Certains lecteurs nous demandaient pourquoi Jason reste figé alors que Tucker s’enfonce dans l’océan (le récit Un homme mort). Sincèrement, nous n’avons pas de réponse. La scène nous est apparue ainsi et nous trouvions qu’elle fonctionnait très bien, d’autant plus qu’il y a une forte aura d’illogisme autour de cette scène.
Aussi, initialement, Jason devait tirer Tucker avec une petite arme dissimulée sur son mollet. Nous l’avons remplacé par un couteau, car pour agir avec un poignard il faut souvent un contact direct. Avec un petit pistolet, Jason aurait pu simplement tirer sur Tucker qui s’enfonçait dans l’eau.
Les récits centrés sur les équipes
Tony Guerrero notait que, dans les aventures centrées sur des équipes, la disparition d’un personnage n’avait pas vraiment d’impact (« When Main Characters Disapear from their Comic Books », www.comicvine.com, 10 avril 2012). En contrepartie, le même analyste notait, quelques semaines auparavant, que ce type de situation entretenait un plus grand suspense, car le lecteur avait alors plus de difficulté à anticiper la suite (« Does Knowing The Hero Always Wins Affect reading Enjoyment », www.comicvine, 20 mars 2012).
Conseils pour l’écriture
On retrouve sur différents blogues, des conseils pour aider les auteurs en herbe à développer leurs habiletés dans ce domaine. Nous en avons retenu quelques-uns :
John Ostrander nous parle de sa théorie : « It’s what I call the “iceberg theory.” The bulk of an iceberg is underwater. That bulk is necessary for the part of the iceberg that shows. In the same way, you need to know a lot about the characters, the setting, the story but only a certain percentage of it needs to show. So you select which details help make the story real and convincing to the reader. Those are the telling details. » (« Details, Details, Details », www.comicmix.com, 15 juillet 2012).
Emily S. Whitten n’avait pas pensé sa chronique dans ce sens, mais nous croyons qu’elle contient un bon conseil pour tout auteur : « Civil War is one of my favorite comic book crossovers for several reasons. One is that this is a crossover in which every character has a legitimate reason to be involved. » (« Marvel Civil War – Prose vs. Graphic Novel », www.comicmix.com, 17 juillet 2012).
Puisque l’écriture d’une bande dessinée est aussi le dessin, Daniel Champion donne les quelques conseils suivants : 1) Avoir un œil pour détecter les fautes d’écriture chez les autres et de chercher à comprendre pourquoi. 2) Comprendre comment deux ou trois cases « se parlent » (« Drawing for Comics », www.comicbookdaily.com, 10 juillet 2012).
Pour sa part, Terrassa Iezzi suggère d’oublier le lecteur moyen qui n’offrira qu’un produit prédigéré (« Why You Love « The Wire », Explained in Fasciting Detail », www.fastcompany.com,). Nous pourrions ajouter que l’auteur devrait être son premier lecteur, et qu’il devrait se demander ce qu’il souhaiterait lire, car, s’il ne peut se trouver intéressant, il aura de la difficulté à capter l’intérêt des autres.
Enfin, dans une autre chronique, Daniel Champion ajoute de nouveaux conseils, en voici quelques-uns : 1) écrivez la fin dans le menu détails avant de commencer à rédiger le début de votre récit. 2) soyez imprévisible et surtout 3) regardez la série télé Lost et comprenez-la! (« Writing for Comic Across the Pond », www.comicbookdaily.com, 18 juillet 2012).
Quel ton adopter
Corey Schroeder nous rappelle que : « Fast-forward to the 90s and you’ve got a new kind of Batman. Watchmen and The Dark Knight Returns have reinvented superheroes as real people with real flaws in the midst of stories that treat the audience’s intellect with maturity. » (« Are Superhero Comics Too Serious », www.comicvine.com, 14 septembre 2011). Chris Sims va plus loin que ce premier constat : « The imitators learned the wrong lessons, and instead of creating stories that treated their subject matter with intelligence and craft, which is a difficult matter requiring a great deal of skill, the knock-offs tried to recapture the things that were easy, like cussin’ and violence. They were exactly the same kind of escapist power fantasy that they were pretending to rise above, just wrapped up in cheap, meaningless exploitation and sold to the audience as something that wasn’t for little kids — which in itself is the most immature, teenage motivation something can possibly have. » (« What’s up With the 90s? », www.comicsalliance.com, 27 juillet 2012).
Cette analyse peut expliquer que certains se demandent si les aventures de superhéros n’étaient pas devenues trop violentes (« Sex & Violence », www.comicbookdaily.com, 9 décembre 2011). À notre avis, ce n’est pas la violence le problème. À cette époque, les aventures de Daredevil, de Frank Miller, avaient des représentations graphiques très violentes, mais cadraient très bien avec les ambiances recherchées. Notre principal reproche serait l’absence de recul face à cette violence. Si nous prenons la série télé 24, Jack Bauer avait le don de toujours torturer les criminels; nous n’avons pas de souvenir d’un innocent qui y ait été torturé. Nous avons davantage de malaise face à ce type de situation que la torture elle-même.