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Télé et cinéma

Quoi écrire quand tout a déjà été dit?

Nous aimons lire sur des auteurs qui parlent de leur processus créatif. Nous sommes tombés sur une entrevue de Sam Esmail homme-orchestre derrière la série Mr Robot qui parle de sa motivation première lors de l’élaboration de ses scénarios : « And I was hamstrung in the first season because I was like, well, this is really only the first act, I need this thing to happen, I need this plot, whatever, the hack thing to happen. Because for me, plot is always an excuse to explore characters. ‘Cause who cares? The plot is the same plot that we see in basically every movie and TV show. But how we tell that story, what choices these characters could make … » (Jen Chaney , Gazelle Emami and Matt Zoller Seitz. « Mr. Robot Creator Sam Esmail on How He Handles Criticism of the Show », www.vulture.com, September 28, 2016).

Nous trouvons amusant de mettre en relation cette affirmation en lien avec les propos de Christopher McQuarrie qui a une longue carrière de scénaristes au cinéma et plus récemment de réalisateur. Il revenait dans une longue entrevue accordée sur le développement  de son scénario Usual Suspect. Il mentionnait alors : « There’s a part of us that wants to see the bad guy get away, that wants to see this guy outsmart authority, and beat the system. That to me is when a movie is really good: when no one is an idiot. Early on in the development of the Suspects script someone asked me why Kujan was chasing this guy Keaton. What does he care? Did Keaton kill his partner? No, he’s just passionate about his job. You don’t have to be Vincent Van Gogh to be passionate about what you do[…] So many movies use revenge as motivation for characters. But I think that, unless you’re analyzing the mind-set itself, it’s a bad motivation. » (« Christopher McQuarrie Gets Verbal on the Usual Suspects », cinetropolis.net, April 13, 2014).

Bien que ces deux citations proviennent de contextes différents, elles sont, pour nous, complémentaires. L’exploration du personnage doit passer par une part d’ellipse, sinon la verbalisation des choix du personnage détruit toute spontanéité ainsi que les contradictions inhérentes aux comportements humains.

La tentation de l’enflure – Partie II

Joss Whedon mentionnait que l’émotion était l’enjeu majeur de son film« Avengers: Age of Ultron » et que sa source d’inspiration était le film Godfather II. Nous ne souhaitons pas faire de comparaisons ridicules. Joss Whedon a une feuille de route trop impressionnante pour nous permettre de lui offrir des conseils. Par contre, si l’émotion est la ligne directrice alors il y avait une trame toute tracée dans le scénario même du film : l’enjeu de la descendance. Black Widow ne peut avoir d’enfant à cause de l’entraînement qu’elle a subi. Une situation similaire pour Bruce Banner, bien que les raisons soient différentes. Ultron considère Tony Stark comme son père et Vision est en quelque sorte son fils. Les aventures des Avengers qui ont inspiré le film (Ultron Unlimited, Avengers vol. 3, numéro 19-22) voyaient Ultron chercher à recueillir une diversité de schémas mentaux afin de recréer une vie artificielle où différents points de vue pourraient être partagés. Bref, comme nous le disions précédemment, le film aurait pu mieux jouer sur la profondeur des émotions au lieu d’élever la barre des enjeux physiques à résoudre (sauver à nouveau la terre).

Avoir un plan et se laisser de la latitude

Dans son long essai, Javier Grill–Marxauch revient sur son expérience d’auteur sur la série Lost (« THE LOST WILL AND TESTAMENT OF JAVIER GRILLO-MARXUACH», http://okbjgm.weebly.com/lost, 24 march, 2015). Ce document est rempli de phrases fascinantes sur les aléas du processus créatif. Nous vous en offrons quelques-unes :

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« […] we were paving the way for the good ideas by coming up with a lot of bad ones. Very bad ones. »

« […] inspiration is always augmented through improvisation, collaboration, serendipity, and plain, old, unglamorous Hard Work. »

« […] in television there is only one way of doing that: have great characters who are interesting to watch as they solve problems onscreen. »

« What I just described was only one of a continuum of very interesting, ongoing, moments in which improvisation — coupled with a strong conceptual foundation of previously generated ideas — provided crucial watershed events for the series. »

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Ce très long texte contient beaucoup d’autres réflexions et nous ne pouvons pas transposer toutes les citations à notre présente expérience sur notre bande dessinée, ne serait-ce que parce que la dimension collaborative est beaucoup moins présente. Ainsi, nous devons discriminer nous-mêmes les bonnes et les mauvaises idées.

Cependant, l’idée d’un plan sur le long terme couplé à de l’improvisation sur le court terme est présente pratiquement dans toutes nos aventures. Nous offrons quelques exemples.

Blascovitch devait mourir beaucoup plus tard dans la série, mais nous avons trouvé que le moment était maintenant opportun. Ses contributions les plus appréciables avaient été réalisées et son décès ouvrait la porte à un changement de dynamique dans les relations entre Valasques, Markham et Wood.

Dans l’épisode « Le Grand Jeu – partie II », Valasquez devait laisser filer Gypsie après l’avoir torturé. Nous avons préféré retenir l’évasion qui démontrait la force de caractère de celle-ci.

Votan ou à tout le moins Travis était lui aussi destiné à mourir beaucoup tard dans la série et encore là, les contours de sa destruction étaient flous. En devançant sa disparition, mais surtout par l’entremise de Cesar sous l’impulsion de son épouse, nous ouvrions alors la porte à de nouvelles interrelations dont nous pouvions entrevoir le potentiel sans en saisir toutes les ramifications.

Le personnage vit à travers ses choix

John Ostrander discute des enjeux de la rédaction d’un récit et il évoque ce qu’il nomme la première loi de Newton d’une aventure. Nous citons un long passage de son propos :

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« What is important is not what the character says (or anybody else says about them); it’s what they do. It’s what they choose to do. Their choices define them. […] How do we determine what a given character will do in any given situation? It depends on their motivation. It’s not simply what they want; it’s what they need. It’s not just what they desire; it‘s what they lust for. […] We want something that will drive a character to action and that’s not always easy. Newton’s First Law of Motion states that a body at rest will remain at rest unless an outside force acts upon it, and a body in motion at a constant velocity will remain in motion in a straight line unless acted upon by an outside force. That’s true in a narrative as well. Maybe we’ll call it Newton’s first law of plot. » (« John Ostrander’s Writing Class: Newton’s First Law of Plot», http://www.comicmix.com, March 29, 2015).

Cette observation nous conduit à un commentaire de Darren concernant le personnage de James Bond créé par Ian Flemming : « Ian Fleming originally constructed James Bond as a one-dimensional cypher, not too far removed from the original version of Sherlock Holmes who appeared in the works of Sir Arthur Conan Doyle. Characterisation was often inferred by the reader rather than explicitly articulated by the writer. A lot of what made Sean Connery or Roger Moore’s take on the character so fascinating existing as subtext rather than text. » (« Non-Review Review: Spectre », https://them0vieblog.com, October 24, 2015). Ainsi, si Ian Flemming a fait de son héros une ardoise blanche, il n’en demeure pas moins que ses romans ont eu un succès qui peut se justifier par l’idée de mouvement évoquée précédemment.

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On pourrait argumenter que ce type d’option est valable pour les récits d’action. Cependant, nous voyons une autre facette à cette idée de choix, ce que nous avons déjà évoqué : les conséquences. À cet effet, nous pourrions prendre l’analyse que Vikram Murthi fait du personnage de Don Draper : « [Don Draper]’s neither a murderer nor a psychopath, but he also doesn’t share the same motivations and desires with other antiheroes. He’s not on a quest for power or dominance, he doesn’t strive to destroy his enemies, and most importantly, he’s not beyond redemption. While Tony [Soprano] was the devil who lived next door and Walter [White] was the criminal mastermind disguised as your science teacher, Don is a socially sanctioned confidence man hiding his broken interior with a suit. He doesn’t exist on a good-bad continuum. He’s simply a man who wears many masks. […]Mad Men is one of the all-time great shows about self-destructive behavior and the toxic cycles someone falls into when they believe they don’t deserve anything better. » (« Don Draper is no antihero », http://www.avclub.com, March 30, 2015). Don fait continuellement des choix, très souvent des mauvais, et une bonne partie de la série télé est construite autour de sa capacité à les assumer ou non. Par conséquent, le mouvement qu’évoque Ostrander n’a pas à se traduire en des actions surhumaines.

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Dépasser une vision manichéenne de notre narration : l’expérience de Lost

Le chroniqueur Davin Faraci analysait le propos de Javier Grill–Marxauch sur sa contribution comme auteur à la série Lost et il conclut son propos par cette phrase : « unfortunately the way the show dealt with these topics – like the manichean battle between good and evil – simply weren’t up to the level of what was happening in seasons one through three. » (“Walt Was Psychic: An Amazing Look At The True Development of LOST”, http://birthmoviesdeath.com, march 24, 2015). Cette conclusion est en partie vraie, mais à notre avis, la plus grande lacune de cette série a été le développement psychologique du Man in Black. Un épisode est construit en flashback afin de comprendre ses motivations et sa relation avec son frère Jacob et sa mère. On y voit un homme désireux de quitter son île et il voit ses rêves littéralement anéantis par sa mère, ce qui l’amène à tuer cette dernière et son frère à le détruire. Mais d’un être assoiffé de liberté, il est simplement devenu une bête de destruction habitée par une seule motivation alors que ses origines démontraient beaucoup plus de nuances. Par ailleurs, son frère, Jacob n’était pas ce personnage rempli de compassion. Bref, d’une relation beaucoup plus nuancée pour ses deux êtres, la série a adopté un schéma classique centré sur un conflit manichéen où le spectateur ne peut accorder aucune compassion le au vilain petit canard. Il y a eu ici une occasion manquée de conclure avec plus de richesse une série télé qui avait pris autant de risques.

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Les références dans les films de super-héros

Ce n’est peut-être que l’imaginaire du cinéphile et de l’amateur de comicbooks, mais c’est toujours amusant de voir une case, une page dans un plan d’un film de super-héros et naturellement, nous en avons trouvé une dans le cas de Captain America, The Winter Soldier.

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Des concepts c’est bien, mais avoir une histoire c’est mieux

Dans sa critique, Film Crit Hulk Smash pose un diagnostic lapidaire d’Amazing Spider-Man 2 (« Hulk’s Burning Questions for the Amazing Spider-Man 2 », birthmoviesdeath.com, may 6, 2014), il mentionne : « WHY DOES THIS CREATIVE TEAM KEEP FLIRTING WITH CONCEPTS AND THEN NOT ACTUALLY DEALING WITH THEM OR EXPLORING THEM? […]WHY DO WRITERS CONTINUALLY NOT UNDERSTAND THAT SCREENTIME ISN’T ABOUT POSITIONING THE LOGISTICS OF WHY PEOPLE DO WHATEVER, BUT ABOUT THE RELATIONSHIPS AND THE MEANING OF THOSE RELATIONSHIPS? » Il y aurait bien d’autres passages à proposer.

Arthur Tebbel n’est pas moins sévère: «  Stop teasing me on the Sinister Six if you can’t give me one compelling villain in this movie.  Stop giving me the mystery of Peter Parker’s parents when you can neither give Aunt May enough space nor have Peter remember the death of his uncle. » (« Box Office Democracy: “The Amazing Spider-Man 2″ », www.comicmix.com, May 5, 2014).

Et pour bien enfoncer le clou, SouronsBane1  y va de ce commentaire : « What’s even worse is the fact that there are a number of more minor subplots that come up out of nowhere, have valuable screen-time dedicated to setting them up…and then they ultimately end up going nowhere as well. » (« Why it Didn’t Work: The Amazing Spider-Man 2 », www.comicbookmovie.com, May 28, 2014.)

L’idée n’est pas de s’acharner sur ce film qui a eu son lot de mauvaises critiques, mais d’en tirer des leçons afin d’améliorer ses propres capacités de rédaction. On a trop souvent l’impression que les scénaristes et auteurs veulent se démarquer par des intrigues toujours plus complexes alors qu’il faut de l’effort pour articuler un récit simple. Simplicité ne signifie pas absence de complexité, mais elle évitera d’être compliquée. Et pendant que l’on peaufine de grandes idées, on oublie ces petits détails qui font la différence. Il faudrait se poser la question : « notre scénario a-t-il trop d’invraisemblances ou de coïncidences fortuites que le spectateur ne cherchera, au final, qu’à toutes les relever plutôt que de se laisser absorber par l’histoire»? La réponse n’est pas simple, mais un peu de logique dans l’histoire devrait être mis en œuvre.

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Les innovations narratives de Star Wars

Si notre dernier billet semble critiquer la saga Star Wars, on ne peut  passer outre plusieurs de ses innovations techniques ou de ses risques narratifs. Keith Phipps (« Why Star wars?», thedissolve.com, November 14, 2014) offre un bel exemple de ces risques :

« By opening with C-3PO and R2-D2, Star Wars thrusts viewers into its world and counts on them to be engaged enough to figure out what’s going on. Even if Star Wars’ title hadn’t been amended to add “Episode IV,” it would still feel like a story already in progress, complete with talk of a Galactic Senate, a never-seen Emperor, spice-smuggling (an homage to Frank Herbert’s Dune), and a past filled with Jedi. The action stops for the occasional explanation, but more goes unexplained. »

Et quand on s’y rappelle bien les personnages sont introduits progressivement sans grandes scènes d’exposition permettant de positionner chacun. On se demande si dans les conditions actuelles de la scénarisation, si une telle approche pourrait être appliquée de nos jours si l’on décidait de refaire cet épisode.
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Les super-héros sont-ils fascistes?

Faraci reprend l’argument souvent évoqué que les super-héros sont fascistes : « Superheroes are essentially fascist because they use force to accomplsh their goals, and their goals are almost always supporting and protecting the status quo. » (David Faraci, « Are Super-heros Fascist? », December 1, 2013, http://badassdigest.com.). Un statu quo difficilement suportables si le super-héros est multi-millionnaire, nous pourrions alors nous demander s’il agit pour le bien d’autrui ou pour préserver sa position social.

Le dernier Captain America, the Winter Soldier, apporte un contre-argument à ce point de vue. Le porteur de bouclier ne s’est pas contenté de déjouer le complot des méchants, il a détruit le Shield, son employeur, le considérant trop corrompu pour mériter de continuer sa mission. Il faut noter que l’altruisme du Captain America est sa marque de commerce.

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Que doit-on écrire : Ce que veut l’auteur ou ce que souhaite le lecteur?

Nous sommes tombés sur ce questionnement suite au film Man of Steele :

« Some might look at that scene and ask, « What else could Superman have done? » Others might offer alternative endings to the scene. It’s not a useful conversation. It’s the usual, « Who would win in a fight? » The answer is always that the outcome is determined by the writer, and the story bends to fit that outcome. Superman killed Zod not because there was no other choice, but because the people conceiving the story wanted Superman to kill Zod. (By a majority of two-to-one, according to recent reports.) » (Andrew Wheeler, «Choice And The Moral Universe Of ‘Man Of Steel’ [Opinion]», June 21, 2013, http://comicsalliance.com.)

Ici plusieurs réflexions se confrontent. D’un côté, certains auteurs souhaitent une forme d’intégrité quant à leurs œuvres, leurs personnages et le récit qu’ils portent en eux depuis, peut-être, plusieurs années. D’autres, plus pragmatiques, veulent être simplement lus et, en ce sens, il peut être tentant de recourir à des formules éprouvées afin de capter l’attention du public. Traditionnellement, nous devrions dire que le parti pris de l’intégrité devrait triompher sur les forces d’un certain simplisme. Cependant, nous sommes d’avis que ce n’est pas la recette éprouvée qui fait le succès, mais le bon dosage des ingrédients. Et c’est là que l’auteur peut réussir à se démarquer et à imprégner son travail, à offrir sa touche personnel.

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