Joss Whedon
La tentation de l’enflure – Partie II
Joss Whedon mentionnait que l’émotion était l’enjeu majeur de son film« Avengers: Age of Ultron » et que sa source d’inspiration était le film Godfather II. Nous ne souhaitons pas faire de comparaisons ridicules. Joss Whedon a une feuille de route trop impressionnante pour nous permettre de lui offrir des conseils. Par contre, si l’émotion est la ligne directrice alors il y avait une trame toute tracée dans le scénario même du film : l’enjeu de la descendance. Black Widow ne peut avoir d’enfant à cause de l’entraînement qu’elle a subi. Une situation similaire pour Bruce Banner, bien que les raisons soient différentes. Ultron considère Tony Stark comme son père et Vision est en quelque sorte son fils. Les aventures des Avengers qui ont inspiré le film (Ultron Unlimited, Avengers vol. 3, numéro 19-22) voyaient Ultron chercher à recueillir une diversité de schémas mentaux afin de recréer une vie artificielle où différents points de vue pourraient être partagés. Bref, comme nous le disions précédemment, le film aurait pu mieux jouer sur la profondeur des émotions au lieu d’élever la barre des enjeux physiques à résoudre (sauver à nouveau la terre).
Centrer sur les personnages
Nous avons déjà beaucoup parlé de Mark Waid et de ses techniques de rédaction centrées sur les personnages plutôt que sur les grosses machinations complexes. Nous jugeons que ce phénomène s’inscrit dans l’air du temps. FamousMonster, dans son analyse de Skyfall, mentionnait : « The screenplay, written by John Logan, Neal Purvis, and Robert Wade, is a swaggering return to classic Bond, with an intense focus on characterization and action, as opposed to some of the more recent Bond films, which seem primarily concerned with car chases and stunt sequences. » (Movie Review: Skyfall, FamousMonster, http://www.geeksofdoom.com, 9 novembre 2012). Mendes confirmait, quelques mois auparavant, ce choix : « Yes, they do have a history […]. It’s much more personal story than your traditional “I’ve got a nuclear device and I’m going to blow up the world, Mr. Bond.” […] You Know, just making it bigger is not going to make it any more scary. » (« We’ve been expecting you Mr. Bond », Dan Jolin, Empire, n° 280, octobre 2012, p. 94-103.).
Sans peut-être le savoir, Joss Wheden va, possiblement, dans la même direction pour son Avenger 2. Il déclarait : « The Avengers 2 would go deeper instead of bigger. Honestly after a huge battle like the one we saw in the first film, it be nice to get a more personal story and take a step back from the big hefty action. Apparently he wants to go so deep and personal that it will be painful. » (« Joss Whedon Talks ‘Avengers 2′ Script, ‘S.H.I.E.L.D.’ TV Show & Marvel Films », eelyajekiM, www.geeksofdoom.com, 11 janvier 2013).
Gérer vos concepts
François Cardinal commentait le film Promised Land pour lequel il écrivait sur son blogue : « j’ai simplement eu la confirmation de ce que je pense depuis longtemps : l’écologie fait rarement de bonnes œuvres, tout simplement parce que les convictions de l’auteur prennent toute la place aux dépens du récit. » (« Terre promise : quand la fiction se met au service de l’écologie… », lapresse.ca, lundi 7 janvier 2013). Burlingame, citant de nombreuses règles d’écriture, indiquait : « Give your characters opinions. Passive/malleable might seem likable to you as you write, but it’s poison to the audience. » (Pixar and Joss Whedon’s Rules For Writers, Russ Burlingame, comicbook.com, 8 décembre 2012).
Nous sommes parfaitement en accord avec ces deux premières affirmations. Nous estimons, en effet, que donner son opinion par l’entremise de ses personnages fait disparaître la fiction au profit de l’essai, qui est nettement un autre genre littéraire. Il y a aussi une forme de fraude vis-à-vis du lecteur à qui on promet un moment de détente alors que l’on tente, lentement, de lui laver le cerveau avec nos lubies.
Par ailleurs, nous croyons que la manipulation des concepts doit se faire tout aussi délicatement dans une œuvre de fiction. Ainsi, dans son analyse du film Dark Knight Rises, Sebala souligne que « The Dark Knight Rises suffers so mightily because it substitutes twists for character arcs, convenience for hard choices and flashbacks for discernible themes ». (Sound and Fury: ‘The Dark Knight Rises’ Against Theme and Story, Christopher Sebela, comicsalliance.com, 27 juillet 2012). Ainsi, nos bonnes idées peuvent venir écraser notre histoire au détriment de nos personnages et du récit que nous souhaitons poursuivre.
Émailler le récit d’événements afin de créer une réelle avancée
Il y a quelques mois, nous regardions le quatrième volet de la série Mission impossible et nous ne pouvions que nous demander, de scène en scène, « pourquoi? ». Pourquoi chaque opération qui devait faire progresser la mission de l’équipe tournait-elle à l’échec? Pourtant, par un retournement, souvent possible au départ, l’équipe aurait été en mesure d’atteindre le but qu’elle s’était fixé. Par exemple, bien que la mission d’envahir le Kremlin pour découvrir l’identité du criminel échoue, le grand patron vient révéler l’identité du méchant que l’on recherchait. On peut alors se poser la question : pourquoi prendre un chemin si long alors qu’un raccourci est disponible? On comprend toutefois le défi du scénariste qui doit construire une aventure ayant une certaine durée. Mais faire tant de circonvolutions ne nous semble pas être une bonne façon pour créer un bon suspense. Comme le disaient les directives de la rédaction de Pixar : « qu’un personnage tombe par hasard dans une situation problématique, c’est de bonne guerre, qu’il s’en sorte par hasard est vraiment ennuyant » (Pixar and Joss Whedon’s Rules For Writers, Russ Burlingame, comicbook.com, 8 décembre 2012).