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Rédaction

La confusion comme caractéristique humaine

John Ostender lance une discussion sur le fait que quelqu’un pourrait développer un algorithme permettant de rédiger des histoires. À un point de sa réflexion, il avance ce commentaire :

« My problem with the whole “computer as a creative writer” concept is that, while it’s an interesting exercise, there will be something essential lacking in its attempt to tell stories. We use stories to distill the human experience and computers lack that. […] As humans, we are all storytellers and we use story every day to explain life to ourselves and others. Computers simply don’t have that and I don’t think you can program them to compensate. » (« WriterBot 3000 », http://www.comicmix.com, March 22 2015).

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Et on pourrait dire qu’une des caractéristiques de l’être humain est d’adopter des comportements irrationnels. Nous lisions le dernier James Ellroy, Perfidia, et tous les personnages sont aux prises avec leurs contradictions, ils conçoivent des plans, adoptent des postures qu’ils ne peuvent tenir face aux événements extérieurs ou uniquement parce qu’ils sont en mode survie. Ces contradictions sont d’autant plus évidentes que l’histoire se déroule sur quelques semaines alors qu’Ellroy nous avait habitués à des fresques sur une échelle temporelle plus longue alors que ces revirements pouvaient être interprétés comme l’évolution psychologique du personnage.

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À notre façon, nous avons cherché à appliquer cette notion de contradiction à notre aventure « Le Grand Jeu ». Valasquez, qui semblait être le maître du complot, improvise constamment prenant des décisions périlleuses qui pourraient le mettre dans une position délicate. L’absence de contrôle semble l’amener à prendre davantage de risques, comme un défi face au destin. Il s’en explique à Benson, mais nous n’avons pas cherché à pousser trop long l’analyse afin de laisser cette part d’illogisme qui nous caractérise tous. En fait, nous avons cherché à appliquer un autre conseil de Ostrander : « Character is found in contradiction. Never try to explain a contradiction away; put it out there for the reader to explain it.» (« John Ostrander’s Writing Class: Details Details Details », http://www.comicmix.com, April 5, 2015).

Dilatation-compression

Dans l’univers Les Apatrides, l’année 1995 est une étape charnière. Initialement, elle marquait un changement de garde à la tête du Consortium et un changement d’attitude de ces derniers face aux assauts du Black Orchestra. Mais au final, les répercussions sont beaucoup plus vastes : décès de Blascovitch, attaque de Gypsie contre le Black Orchestra, chute de Votan/Travis, remplacement de Benson. Alors que nous distillions nos aventures au fils des mois. Un solide coup de frein a été appliqué pour l’année 1995. Les événements se sont bousculés en quelques semaines. Nous le répétons, certains de ces événements étaient planifiés, mais plusieurs autres se sont greffés suite à certains développements (toute la saga de Travis avec Gypsie).

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Avoir un plan et se laisser de la latitude

Dans son long essai, Javier Grill–Marxauch revient sur son expérience d’auteur sur la série Lost (« THE LOST WILL AND TESTAMENT OF JAVIER GRILLO-MARXUACH», http://okbjgm.weebly.com/lost, 24 march, 2015). Ce document est rempli de phrases fascinantes sur les aléas du processus créatif. Nous vous en offrons quelques-unes :

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« […] we were paving the way for the good ideas by coming up with a lot of bad ones. Very bad ones. »

« […] inspiration is always augmented through improvisation, collaboration, serendipity, and plain, old, unglamorous Hard Work. »

« […] in television there is only one way of doing that: have great characters who are interesting to watch as they solve problems onscreen. »

« What I just described was only one of a continuum of very interesting, ongoing, moments in which improvisation — coupled with a strong conceptual foundation of previously generated ideas — provided crucial watershed events for the series. »

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Ce très long texte contient beaucoup d’autres réflexions et nous ne pouvons pas transposer toutes les citations à notre présente expérience sur notre bande dessinée, ne serait-ce que parce que la dimension collaborative est beaucoup moins présente. Ainsi, nous devons discriminer nous-mêmes les bonnes et les mauvaises idées.

Cependant, l’idée d’un plan sur le long terme couplé à de l’improvisation sur le court terme est présente pratiquement dans toutes nos aventures. Nous offrons quelques exemples.

Blascovitch devait mourir beaucoup plus tard dans la série, mais nous avons trouvé que le moment était maintenant opportun. Ses contributions les plus appréciables avaient été réalisées et son décès ouvrait la porte à un changement de dynamique dans les relations entre Valasques, Markham et Wood.

Dans l’épisode « Le Grand Jeu – partie II », Valasquez devait laisser filer Gypsie après l’avoir torturé. Nous avons préféré retenir l’évasion qui démontrait la force de caractère de celle-ci.

Votan ou à tout le moins Travis était lui aussi destiné à mourir beaucoup tard dans la série et encore là, les contours de sa destruction étaient flous. En devançant sa disparition, mais surtout par l’entremise de Cesar sous l’impulsion de son épouse, nous ouvrions alors la porte à de nouvelles interrelations dont nous pouvions entrevoir le potentiel sans en saisir toutes les ramifications.

Avoir des femmes en contrôle – Partie IV

Nous aimons le personnage de Gypsie pour son absence complète de pudeur et la façon dont elle joue avec sa sexualité afin d’atteindre ses objectifs. Elle possède des dons de manipulation des esprits, mais elle fait jouer davantage les courbes de son corps que ses capacités psychiques pour atteindre ses buts. En ce sens, sa relation avec Travis était beaucoup plus ambigüe que celle avec Blascovitch. Avec ce dernier, les échanges charnels ne visaient qu’à obtenir certaines faveurs ou des privilèges. Avec Travis, c’est autre chose. Bien que prévisible, son décès est un choc pour elle.

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L’ambiguïté de leur relation peut sembler déroutante. C’est Gypsie qui domine ce couple, bien que Travis, par l’entremise de Votan, possède une puissance nettement supérieure. Elle procure à Travis l’ambition qu’il semble manquer. Il y a inévitablement une Lady Macbeth qui sommeille en elle. Pour sa part, Travis est transi d’amour pour Gypsie, il ferait tout pour elle, et Gypsie est consciente de la faiblesse de son homme et elle l’exploite. Au-delà de la puissance que Votan procure à Travis et par le fait même à Gypsie, celle-ci est sincèrement attachée à Travis.

Quitter l’aventure ne signifie pas nécessairement mourir

Dans un univers comme celui des Apatrides, la mort est inévitable, le contraire serait même contre-indiqué. Cependant, il faut doser les décès. Ainsi, le départ de l’aventure d’Eva nous apparaît une sortie élégante qui pourrait même ouvrir un nouveau chapitre dans sa vie. Son départ ne signifie pas qu’elle cesse d’exister.

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Le personnage vit à travers ses choix

John Ostrander discute des enjeux de la rédaction d’un récit et il évoque ce qu’il nomme la première loi de Newton d’une aventure. Nous citons un long passage de son propos :

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« What is important is not what the character says (or anybody else says about them); it’s what they do. It’s what they choose to do. Their choices define them. […] How do we determine what a given character will do in any given situation? It depends on their motivation. It’s not simply what they want; it’s what they need. It’s not just what they desire; it‘s what they lust for. […] We want something that will drive a character to action and that’s not always easy. Newton’s First Law of Motion states that a body at rest will remain at rest unless an outside force acts upon it, and a body in motion at a constant velocity will remain in motion in a straight line unless acted upon by an outside force. That’s true in a narrative as well. Maybe we’ll call it Newton’s first law of plot. » (« John Ostrander’s Writing Class: Newton’s First Law of Plot», http://www.comicmix.com, March 29, 2015).

Cette observation nous conduit à un commentaire de Darren concernant le personnage de James Bond créé par Ian Flemming : « Ian Fleming originally constructed James Bond as a one-dimensional cypher, not too far removed from the original version of Sherlock Holmes who appeared in the works of Sir Arthur Conan Doyle. Characterisation was often inferred by the reader rather than explicitly articulated by the writer. A lot of what made Sean Connery or Roger Moore’s take on the character so fascinating existing as subtext rather than text. » (« Non-Review Review: Spectre », https://them0vieblog.com, October 24, 2015). Ainsi, si Ian Flemming a fait de son héros une ardoise blanche, il n’en demeure pas moins que ses romans ont eu un succès qui peut se justifier par l’idée de mouvement évoquée précédemment.

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On pourrait argumenter que ce type d’option est valable pour les récits d’action. Cependant, nous voyons une autre facette à cette idée de choix, ce que nous avons déjà évoqué : les conséquences. À cet effet, nous pourrions prendre l’analyse que Vikram Murthi fait du personnage de Don Draper : « [Don Draper]’s neither a murderer nor a psychopath, but he also doesn’t share the same motivations and desires with other antiheroes. He’s not on a quest for power or dominance, he doesn’t strive to destroy his enemies, and most importantly, he’s not beyond redemption. While Tony [Soprano] was the devil who lived next door and Walter [White] was the criminal mastermind disguised as your science teacher, Don is a socially sanctioned confidence man hiding his broken interior with a suit. He doesn’t exist on a good-bad continuum. He’s simply a man who wears many masks. […]Mad Men is one of the all-time great shows about self-destructive behavior and the toxic cycles someone falls into when they believe they don’t deserve anything better. » (« Don Draper is no antihero », http://www.avclub.com, March 30, 2015). Don fait continuellement des choix, très souvent des mauvais, et une bonne partie de la série télé est construite autour de sa capacité à les assumer ou non. Par conséquent, le mouvement qu’évoque Ostrander n’a pas à se traduire en des actions surhumaines.

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Hawkeye par Matt Fraction and David Aja

Andrew Wheeler souligne le positionnement presque unique de la série Hawkeye développé par Matt Fraction et David Aja. Il précise : « Fraction paced and framed his story as the everyday adventures of a blue collar man. » (« ‘Black Widow’ #1 and the Hawkeyzation of Marvel Solo Titles », http://comicsalliance.com, January 10, 2014). Kat Ward va dans le même sens en indiquant que l’angle de la série est : « […] examined what the Avenger got up to when he was off world-saving duty.» (« Meet Matt Fraction and Kelly Sue DeConnick, the first couple of comics », http://www.ew.com, 14 January, 2015). L’intérêt de cette série est de voir comment l’auteur a réduit la taille des enjeux : sauver un édifice de la cupidité de promoteurs immobiliers. Les méchants n’ont souvent pas de superpouvoirs. Cet univers est peuplé de gens ordinaires avec leurs petits problèmes de la vie de tous les jours. Fraction a résisté à la tentation de faire monter les enchères en créant des enjeux hors normes. Malgré cette forme de banalisation des événements, l’histoire est très riche, dense en relation sans être complexe. Un vrai morceau de bravoure.

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Avoir des femmes en contrôle – Partie III

Nous poursuivons nos réflexions sur la définition d’un personnage féminin fort. En fait, le terme fort est mal approprié, il doit être cohérent avec ses forces et ses faiblesses. À cet effet, Josef Siroka fait une analyse similaire dans le contexte du cinéma : «Ainsi, les féministes n’auraient pas dû dire : “Nous voulons plus de personnages féminins forts.” Elles auraient dû dire “Nous voulons des personnages féminins plus faibles.” Pas “faible” dans le sens “demoiselle en détresse.” “Faible” dans le sens “avec des défauts” (« Redéfinir le « personnage féminin fort» », http://blogues.lapresse.ca/moncinema/siroka, 11 février 2014). Parenthèse ici dans notre réflexion, l’inverse d’une femme forte est d’amener la femme à être uniquement une demoiselle en détresse. À cet effet, quand on regarde la trilogie de film de Captain America, en aucun moment, les femmes ont besoin d’être secourues par le super-héros!

Si nous revenons donc à notre univers des Apatrides, c’est Jenny qui demande à Markham d’aller dans l’un des camps d’entraînement du Black Orchestra. Elle devient le seul personnage, à ce moment-ci des aventures mises en ligne, à avoir volontairement, de son plein gré, et en connaissance de cause, décidé de se rendre dans l’un de ces camps.

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Dépasser une vision manichéenne de notre narration : l’expérience de Lost

Le chroniqueur Davin Faraci analysait le propos de Javier Grill–Marxauch sur sa contribution comme auteur à la série Lost et il conclut son propos par cette phrase : « unfortunately the way the show dealt with these topics – like the manichean battle between good and evil – simply weren’t up to the level of what was happening in seasons one through three. » (“Walt Was Psychic: An Amazing Look At The True Development of LOST”, http://birthmoviesdeath.com, march 24, 2015). Cette conclusion est en partie vraie, mais à notre avis, la plus grande lacune de cette série a été le développement psychologique du Man in Black. Un épisode est construit en flashback afin de comprendre ses motivations et sa relation avec son frère Jacob et sa mère. On y voit un homme désireux de quitter son île et il voit ses rêves littéralement anéantis par sa mère, ce qui l’amène à tuer cette dernière et son frère à le détruire. Mais d’un être assoiffé de liberté, il est simplement devenu une bête de destruction habitée par une seule motivation alors que ses origines démontraient beaucoup plus de nuances. Par ailleurs, son frère, Jacob n’était pas ce personnage rempli de compassion. Bref, d’une relation beaucoup plus nuancée pour ses deux êtres, la série a adopté un schéma classique centré sur un conflit manichéen où le spectateur ne peut accorder aucune compassion le au vilain petit canard. Il y a eu ici une occasion manquée de conclure avec plus de richesse une série télé qui avait pris autant de risques.

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Avoir des femmes en contrôle : la relation de Eva et de Benson – Partie II

Nous poursuivons notre exploration de la relation d’Eva et de Benson. Dans l’aventure « Voir clair », la scène finale de l’aéroport, Benson regarde Eva s’éloigner. Cette dernière ne se retourne jamais vers Benson. Nous voulions envoyer le message qu’Eva regarde devant elle, même si elle quitte avec des étrangers. Elle a possiblement tourné la page.

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