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Ed Brubaker

Compression et décompression

« We don’t often spend enough time on ramifications in mainstream comics, so here was a place to build a whole storyline around them. », commentait Ed Brubaker dans une entrevue qu’il accordait (« The Ed Brubaker ‘Captain America’ Exit Interview », David Brothers, comicsalliance.com, 1er Novembre 2012).

Cette affirmation nous a rappelé l’analyse de Renaud Pasquier (« “Homeland” met en scène le nouveau Jack Bauer de l’Amérique parano », Le Nouvel Observateur, 29 septembre 2012) concernant la première saison de la série Homeland : « Or, le récit ne va nullement s’engager, comme on pourrait s’y attendre, dans une enquête menée tambour battant, scandée par le tic-tac fatidique de l’horloge. Ce qui donne son rythme à la fiction, c’est un temps, non pas extérieur et mécanique, mais intime et organique. Le temps, irrégulier et non linéaire, du vécu; le temps des soupçons, des doutes et des hésitations; le temps des émotions, des réflexions et des souvenirs; mais aussi le temps des délires. »

Dans une entrevue avec Mark Waid, Tom Spurgeon utilisait l’expression « décompression » pour parler du style d’écriture de cet auteur (Interview # 22 – Mark Waid, www.comicsreporter.ccom, 10 janvier 2013). On aime l’image. Pour notre part, nous suggérerions plutôt une analogie avec un accordéon : il faut laisser de l’air entrer dans l’instrument (décompression) pour produire des sons (compressions). Si nos aventures ne sont que dans le mode action (compression), elles ne respirent plus, on n’a plus le temps de comprendre nos personnages, leurs doutes, leurs motivations, leurs évolutions. Compression/décompression, c’est notre recette.

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Concevoir un plan et être capable d’en dévier – Partie I

À la conclusion de ses années de service chez Marvel, principalement pour la série Captain America, Ed Brubaker fit les réflexions suivantes : « I hoped for two years, and planned for three, because three years was about the longest I’d stayed on any other book. My pitch document had the first 12 issues mapped out, which I mostly stuck to, actually, and then sketched out the next year in broad strokes. I never imagined I’d go even 50 issues, let alone the I think 102 issues I did, counting mini-series and one-shots and annuals. » Il ajouta aussi : « More than anything, it was that each issue kept wanting to be longer or I kept feeling like I had more ideas and wanted to spend more time with the characters, and realized I was stopping myself from doing that with an arbitrary structure I’d imposed on myself. » (« The Ed Brubaker « Captain America » Exit Interview », David Brothers, comicsalliance.com, 1er novembre 2012).

 Il y a donc deux idées qui se confrontent ici. L’idée du plan qui guide l’auteur et la flexibilité que ce dernier doit conserver pour intégrer de nouvelles idées ou de nouveaux développements qui n’avaient pas été initialement envisagés. Pour notre part, parmi les idées qui ont évolué, il y a celle de l’anonymat de Votan. Au départ, son identité devait demeurer mystérieuse pendant plusieurs aventures, pour ne pas dire jusqu’à la toute fin, mais nous avons abandonné cette avenue et avons préféré révéler rapidement son identité, une option qui ouvrait davantage de perspectives dramatiques.

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L’avenir de la bande dessinée à l’ère d’Internet – Partie II

Graeme McMillan regrette que l’industrie soit maintenant devenue un marché de niche (« The Beauty of Digital », www.newsarama.com, 11 juillet 2012). Une des raisons qui semble être évoquée par différents intervenants est le prix. Brubaker est nostalgique de l’époque où une bande dessinée se vendait 2,99 $, et il y voit une des raisons du déclin des ventes (CR Sunday Interview: Ed Brubaker, www.comicsreporter.com, 24 juin 2012). Brian K. Vaughan va dans le même sens, et met le premier numéro de sa série Saga, qui contenait 44 pages, en vente à 2,99 $ (David Uzurmeri, « Saga: Brian K. Vaughan and Fiona Staples Bring a Stellar Sci-Fi Comic into World », www.comicsalliance.com, 14 mars 2012). La hausse des prix ne permet pas au consommateur d’acheter autant de numéros avec le budget qu’il peut consacrer à ce loisir (« Marvel’s Axel Alonso Made Me laugh this Morning », www.comicsreporter.com, 6 juillet 2012). Entre les années 2000 et 2010, le prix des bandes dessinées a augmenté de 77 % aux États-Unis (« With Great Power Comes Great Financial Hardship », www.comicboodaily.com, 4 juin 2010). En plus de cette hausse des prix, plusieurs considèrent qu’il y a maintenant de moins en moins de texte dans les aventures et qu’elles se lisent donc de plus en plus rapidement, ce qui fait d’elles un divertissement assez onéreux pour le temps que le lecteur y consacre (« Where Did all the Words Go? », www.comicbookdaliy.com, 21 mai 2010).

La bande dessinée n’est pas uniquement en concurrence avec les autres séries de superhéros ou les mangas, elle l’est également avec les autres formes de divertissements. Dans un contexte où le lecteur a un large choix, il lui est facile de réduire une partie de son budget destiné à l’achat de bandes dessinées (Ed Campbell, « Are You Willing to Make a Cut », www.comicbookdaily.com, 24 mars 2012).

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La continuité n’empâche pas les transformations des personnages

Dans un commentaire précédent, traitant de la notion de continuité, nous citions un analyste qui souligne que les personnages principaux avaient souvent muté au point d’être méconnaissables. Scott VanderPloeg mentionnait à cet effet : « Batman can be a dark and gritty character, but can also be fun and light » (« What Happened? », www.comicbookdaily.com, 11 janvier 2012). Ce phénomène peut tenir au fait que les tendances sociales de l’époque devaient s’insérer progressivement dans le cours des histoires. Par contre, ce qui est plus déstabilisant, ce sont les brusques revirements de personnalité dus, le plus souvent, à une nouvelle équipe à la rédaction.

À ce sujet, plusieurs dénoncent que la continuité ne réside pas entièrement dans l’aventure en soi, mais dans l’équipe de rédaction. Graeme McMillan soulignait que « Better continuity developing through the line » (« Is Continuity Really a Draw for Superhero Universes? », www.newsarama.com, 26 juillet 2012). Ed Brubaker confia en entrevue qu’il était nostalgique de l’époque où un auteur et un dessinateur pouvaient collaborer sur des dizaines de numéros et ainsi avoir la latitude de développer des univers plus denses. (CR Sunday Interview: Ed Brubaker, www.comicsreporter.com, 24 juin 2012).

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Quel ton adopté?

Spurgeon, lorsqu’il interviewait Ed Brubaker (CR Sunday Interview: Ed Brubaker, www.comicsreporter.com, 24 juin 2012) offrait ce préambule à l’une de ces questions : « When I read a bunch of your Captain America recently, I was surprised how somber it was. I don’t mean that it was depressing or sad, I mean serious and sober. »

Nous avons lu cette phrase bien après avoir démarré la rédaction de nos différents récits et considérons qu’elle cadre bien avec ce que nous essayons de produire. Nos dialogues sont emprunts d’une forme de sobriété. Certains diraient d’une forme de banalité, et nous l’assumons. Nous ne souhaitons pas écrire de dialogues transcendants. Nous voulons davantage dégager des ambiances ambigües, comme si les personnages étaient incapables de réconcilier tous les mystères qui les entourent ou tous les mensonges qu’ils ont inventés et racontés aux uns et aux autres et à eux-mêmes.

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