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Mark Waid

Les pièges de la répétition

Dans un contexte où pratiquement tout à déjà été écrit ou fait du point de vue culturel, ce qui est davantage le cas de comicbook alors que les Spider-man, Superman, Batman et cie ont déjà eu des centaines d’aventures qu’ils leur ont été consacrées, de réussir à produire une œuvre complètement originale devient un défi de tous les instants. Nous avons lu une entrevue de Mark Waid et nous en dégageons ce passage :

« I was hesitant at first because it seemed like such a dark way to go. And I also didn’t want to do the 800th “Oh he has cancer in a superhero book! What will the superhero do? Surely there’s a way to fix it! Oh wait, you can’t beat cancer.” I don’t want to do that kind of story. You know, the story where Daredevil walks around the Marvel Universe for an issue trying to get people to cure cancer for him and being told, “We can go to the Negative Zone, Daredevil, but we can’t cure cancer.” So that’s the first trap you have to avoid when doing that kind of story. And second, it’s so dark a circumstance, and I like Foggy. » («Mark Waid Talks Daredevil, Hulk, Everything», March 27, 2013, http://ca.ign.com/articles/2013/03/27/mark-waid-talks-daredevil-hulk-everything)

Il resterait donc toujours des angles inédits à exploiter.

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Commercialiser ses personnages au risque de les fossiliser

Dans cette recherche du profit accessible grâce à des publications web, Mark Waid énonce un point de vue, fort intéressant : « Waid commented that the tendency toward merchandizing may encourage the slow-down or freeze of new developments in a character since “every character becomes a beach towel” in the end. » (Hannah Means-Shannon, “On the Scene: WonderCon 2013”, comicsbeat.com, 30 mars 2013.).

Ce simple commentaire met en relation les difficultés de la rentabilité financière avec les efforts d’intégrité artistique.

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Bousculer les conventions par des nouvelles

Revenons sur des idées que nous avons déjà développées, mais avec de nouvelles références afin d’enrichir nos réflexions. La ligne est mince entre les recettes et les conventions d’un style de film. Darren, dans son analyse du film Die Hard, rappelle que ce film a très bien fonctionné parce qu’il exploitait toutes les conventions du film d’action sans avoir transformé le scénario en une liste d’articles à cocher (Darren, « non-Review Review: Die Hard », them0vieblog.com, 8 janvier 2013).

Cette notion de convention peut être encore plus difficile à dépasser dans un contexte occidental où les scénarios sont généralement construits autour d’affrontements entre deux ou plusieurs éléments qui se terminent par la domination de l’un deux (the signifiance of plot without conflict). Dans un tel paradigme, il peut devenir très difficile de développer de nouvelles idées. Dans ce contexte, tuer le personnage principal peut offrir un bel élan dramatique. Malheureusement, ce cliché est trop souvent utilisé pour relancer une série et ne berne plus les lecteurs qui savent très bien que le personnage en question reviendra d’outre-tombe (Mike Romo, « RIP Peter Parker (Again), RIP My Faith in Marvel (Again) », http://ifanboy.com, 1er juillet 2013). Sa mort et son retour annulent l’effet dramatique et l’effet d’apprentissage, puisque, trop souvent, le retour signifie le retour du statu quo, soit la situation qui a précédé les événements tragiques (Steve Morris, « Second Opinion: Batman # 17 », http://comicsbeat.com, 15 février 2013). Morris pense aussi que ces concepts sont ceux des auteurs et qu’ils ne cadrent pas toujours avec l’essence même des personnages ou de la série que l’on veut développer.

Une solution? Mark Waid l’a déjà donnée par des scénarios misant sur des enjeux plus intimistes. En ce sens, McMillan cible les éléments clés du Hawkeye, développés par Matt Fraction : « The excitement here is that Hawkeye doesn’t wear his costume all that much and acts like a real life human being once in a while. He cracks some jokes and has some sense of his own mortality when he or his friends get shot at. He is hopeless at superheroics (i.e. fallible). » (Graeme McMillan, “What makes Hawkeye so special?”, Newsarama, 8 mai 2013). Pour réussir à traiter de petits drames, il faut prendre le temps de les développer. Daniel Champion amène une idée intéressante : « That’s ‘story’ and so often in comics, we don’t see it.  A story is about something and is told through moments that happen. In comics, we only ever seem to get a bunch of things that happen, with no ‘about’ […] and that’s is a waste. » (Daniel Champion, « Comics is Sh*t », www.comicbookdaily.com, 29 janvier 2013.). L’histoire dépasse les événements présents dans les cases. Prendre le temps de développer une histoire peut signifier introduire des personnages qui ne se révéleront que plus tard (Graeme McMillan, « …Who is that Again? », Newsarama, 30 janvier 2013.

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La viabilité des webcomics

Nous revenons sur des idées que nous avons déjà développées, mais avec de nouvelles références qui permettent d’enrichir nos réflexions. Brian Wood rappelle une vérité simple concernant le milieu du comic book : « This is a job. This is a business, not a hobby or a social activity. That may sound a little cold, and it doesn’t mean I don’t get immense creative satisfaction from doing what I do (if I didn’t, I’d go be a stockbroker or something) but it’s about finding the right balance. Not making business decisions based on being a fan, or social pressure, or making too many allowances for the quirks of this industry. » (Graem McMillan, “Wood: Comics is a Business, Not a Hobby of a Social Activity”, Newsarama, 2 janvier 2013).

Malgré ce constat, Falcon ajoute un élément important qui fait toute une différence, qui est l’idée d’un travail réalisé par une équipe : « Compared to other industries, I find it surprising and overwhelming how pedagogy and mentorship is so deeply ingrained as part of the comic book industry. I’ve seen creator after creator look at someone’s work and give advice and pass on years of wisdom because someone did it for them. Comic creators believe in returning kindness and helping aspiring talent. » (Anthony Falcone, “Breaking into the Comics the Marvel Way”, www.comicbookdaily.com, 30 mai 2013).

Malgré cela, l’aspect commercial ne peut pas être mis de côtè, car tout ceci occasionne des coûts, et ce, même si l’on édite soi-même sur le Web, car cela impose une cadence élevée de production et donc des coûts de main-d’œuvre non négligeables. (« Mark Waid on the true cost of digital », http://www.comicsbeat.com, 1er janvier 2013).

Dans cette logique de coût, même des artistes comme Mark Waid s’interrogent sur les moyens à prendre pour générer des revenus (« Holiday Interview #22 – Mark Waid », www.comicsreporter.com, 22 janvier 2013). Dans la même entrevue, Waid voit le déplacement de l’industrie vers une relation plus directe et plus personnelle entre le créateur et ses fans. Dans ce contexte, comment générer des revenus de masse sans perdre cette dimension d’échanges directs?

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Centrer sur les personnages

Nous avons déjà beaucoup parlé de Mark Waid et de ses techniques de rédaction centrées sur les personnages plutôt que sur les grosses machinations complexes. Nous jugeons que ce phénomène s’inscrit dans l’air du temps. FamousMonster, dans son analyse de Skyfall, mentionnait : « The screenplay, written by John Logan, Neal Purvis, and Robert Wade, is a swaggering return to classic Bond, with an intense focus on characterization and action, as opposed to some of the more recent Bond films, which seem primarily concerned with car chases and stunt sequences. » (Movie Review: Skyfall, FamousMonster, http://www.geeksofdoom.com, 9 novembre 2012). Mendes confirmait, quelques mois auparavant, ce choix : « Yes, they do have a history […]. It’s much more personal story than your traditional “I’ve got a nuclear device and I’m going to blow up the world, Mr. Bond.” […] You Know, just making it bigger is not going to make it any more scary. » (« We’ve been expecting you Mr. Bond », Dan Jolin, Empire, n° 280, octobre 2012, p. 94-103.).

Sans peut-être le savoir, Joss Wheden va, possiblement, dans la même direction pour son Avenger 2. Il déclarait : « The Avengers 2 would go deeper instead of bigger. Honestly after a huge battle like the one we saw in the first film, it be nice to get a more personal story and take a step back from the big hefty action. Apparently he wants to go so deep and personal that it will be painful. » (« Joss Whedon Talks ‘Avengers 2′ Script, ‘S.H.I.E.L.D.’ TV Show & Marvel Films », eelyajekiM, www.geeksofdoom.com, 11 janvier 2013).

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Question de Timing

On retrouve le phénomène dans différentes formes d’art (musique, cinéma, etc.) où la production d’un artiste est au diapason des goûts du jour. À la question qui lui était posée concernant l’intérêt plus grand qu’on accordait à son travail, Mark Waid constatait : « I’m not doing anything I haven’t been doing the last 10 or 15 years in terms of how I approach story, how I approach characters, how I approach narrative. At this exact moment there seems to be room in the marketplace for stuff that is a little less formulaic and a little less like what we’ve seen before. A little less dark. A little less dystopic, without being quote-unquote « fun. » Maybe that’s what people are responding to. I don’t know.» (Interview #22 – Mark Waid, comicsreporter.com, 10 janvier 2013).

Le phénomène inverse peut se produire : on peut avoir beaucoup de succès avec une œuvre et refaire un produit similaire qui ne captera pas l’attention du public. C’est vrai dans le milieu artistique, mais, globalement, c’est également vrai pour toutes les formes d’innovation.

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Les niveaux de violence

Mark Waid déclarait, il y a plusieurs mois : « Writing evil and writing violence are, if you’re clever and do it right, can be two entirely different sets of visuals. » Dans le même élan, Waid se sentait désolé d’avoir tué certains des personnages qu’il avait créés (DC Comics: Allegations of Editorial Strong-Arming in the Old 52, Russ Burlingame, comicbook.com, 26 août 2012). Sans rien excuser, nous voyons différents niveaux dans le décès de personnages. Au niveau le plus bas de la pyramide, il y a la chair à canon, soit les hommes de main interchangeables qui sont régulièrement éliminés ou capturés. Ces personnages sont complètement anonymes. Leur anonymat fait en sorte que leur décès n’a pas de répercussion, puisqu’ils n’ont pas réellement vécu aux yeux du lecteur. Viennent ensuite les méchants, dont la mort se veut le châtiment ultime pour leurs méfaits. Les agneaux sacrifiés, nous posent davantage de problèmes, car ils sont amenés dans le récit pour provoquer une réaction du héros; leur disparition veut produire un effet dramatique. Dans certains récits, comme les films de James bond pour ne pas les nommer, ces personnages sont tellement prévisibles que l’on décide de ne pas s’y attacher. Finalement, il y a le décès, naturel ou non, de personnages dont la mort représente l’aboutissement même du personnage. La violence est une chose, faire évoluer un personnage en est une autre, et ce, même si cela nécessite la mort d’une personne de son entourage.

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Compression et décompression

« We don’t often spend enough time on ramifications in mainstream comics, so here was a place to build a whole storyline around them. », commentait Ed Brubaker dans une entrevue qu’il accordait (« The Ed Brubaker ‘Captain America’ Exit Interview », David Brothers, comicsalliance.com, 1er Novembre 2012).

Cette affirmation nous a rappelé l’analyse de Renaud Pasquier (« “Homeland” met en scène le nouveau Jack Bauer de l’Amérique parano », Le Nouvel Observateur, 29 septembre 2012) concernant la première saison de la série Homeland : « Or, le récit ne va nullement s’engager, comme on pourrait s’y attendre, dans une enquête menée tambour battant, scandée par le tic-tac fatidique de l’horloge. Ce qui donne son rythme à la fiction, c’est un temps, non pas extérieur et mécanique, mais intime et organique. Le temps, irrégulier et non linéaire, du vécu; le temps des soupçons, des doutes et des hésitations; le temps des émotions, des réflexions et des souvenirs; mais aussi le temps des délires. »

Dans une entrevue avec Mark Waid, Tom Spurgeon utilisait l’expression « décompression » pour parler du style d’écriture de cet auteur (Interview # 22 – Mark Waid, www.comicsreporter.ccom, 10 janvier 2013). On aime l’image. Pour notre part, nous suggérerions plutôt une analogie avec un accordéon : il faut laisser de l’air entrer dans l’instrument (décompression) pour produire des sons (compressions). Si nos aventures ne sont que dans le mode action (compression), elles ne respirent plus, on n’a plus le temps de comprendre nos personnages, leurs doutes, leurs motivations, leurs évolutions. Compression/décompression, c’est notre recette.

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Mark Waid

Mark Waid est un auteur que nous n’avons connu que tout récemment par l’entremise de son travail sur Daredevil et qui nous a beaucoup impressionnés. Ses récits semblent pratiquement « anticlamax ». Par exemple, dans le septième numéro, Daredevil doit affronter une tempête de neige; et son numéro 12 est centré sur l’époque des études de droit de Matt et Foggy et d’une confrontation avec un de leur professeur. Les scènes de combat sont relativement courtes, elles occupent rarement tout un numéro.

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Curieusement, sans être particulièrement spectaculaire à première vue, l’écriture de Mark Waid est stimulante, nous relisons fréquemment ces numéros. Aussi, dernièrement, nous apprenions que Mark Waid se double d’un penseur sur l’impact d’Internet dans la production des bandes dessinées.Mark Waid is an author we only got to know recently through his work on Daredevil, which really impressed us. His stories seem almost « anticlimactic. » For example, in the seventh issue, Daredevil faces a snowstorm. And issue 12 is focused on the time when Matt and Foggy were studying law and had a confrontation with their teacher. The fight scenes are relatively short and rarely occupy a whole issue. Curiously, without seeming spectacular at first glance, Mark Waid’s writing is stimulating and these issues are some we often reread. We also recently learned that Mark Waid doubles as a thinker on the impact of the Internet on comic production.

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Les commentaires des fans

Dans une entrevue qu’il accordait au magazine Internet The Beat, Bill Jemas, fondateur de la société 360eps et ancien membre de l’équipe Marvel, déclarait : « You can be more creative for less money and less time with better feedback with comics than in any medium I’ve ever been around.» (« Interview: Former Marvel COO Bill Jemas tells us how to wake the F#ck up », comicsbeat.com, 13 septembre 2012). Marc Alan Fishman va dans le même sens lorsqu’il affirme qu’il a pu gérer les risques de ses projets créatifs en écoutant les commentaires de ses vrais fans (« Everything We Do, Wo Do it For You », Marc Alan Fishman, comicmix.com, 27  octobre 2012).

Sans nier la valeur des commentaires reçus, il faut savoir discerner les changements que l’on fait pour améliorer le produit et les changements que l’on effectue uniquement pour plaire à nos lecteurs. À ce sujet, Jesse Alexander disait, à propos de la troisième saison de la série télé Alias, définitivement la plus mauvaise saison de la série : « […] and we’d change up things a little based on on viewers reactions to certains things. But because we didn’t have any chance to deal with that the year [season four], we’ve been operating in a vacuum where we’ve really been free to craft a story without any outside influence. I think that’s probably helped us stay focused on our goal for the end of the year. » (« Revelations », Alias –The offocial Magazine, vol. 1, n° 10, mai-juin 2005, p.64-65.)

L’idée n’est pas de rejeter les commentaires des lecteurs, au contraire. Mais, si l’on écrit, c’est que l’on a quelque chose à dire. À ce propos, Mark Waid disait : « Il faut chercher à se plaire à soi-même. Naturellement en fin de parcours, si votre travail est lu par plusieurs autres personnes, cela dépend plus ou moins de vous » (Interview # 22 – Mark Waid, www.comicsreporter.com, 10 janvier 2013).

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