Suppléments
-
Écriture et opinion politique (Partie I)
La sortie du dernier Batman (The Dark Knight Rises) a déclenché une vive polémique médiatique sur les intentions politiques de Christopher Nolan. Son Batman défendait-il des valeurs conservatrices? L’hystérie fut à son comble lorsque l’on fit une association entre le nom du méchant, Bane, et le nom de la société qu’avait fondée Mitt Romney (Baine Capital). Chuck Dixon, le cocréateur de Bane a dû faire une annonce publique pour réaffirmer sa foi conservatrice (Jozef Siroka, « Batman ne porterait pas le carré rouge », www.lapresse.ca, 24 juillet 2012).
Cette sortie en rappelait une autre, celle de Frank Miller qui avait dénoncé le mouvement Occupy dans des propos très durs. Une prise de position qui lui a été reprochée (Brent Chittenden, « Oh Frank Miller …Creators and Politics », www.comicbookdaily.com, 17 novembre 2011. « Watchmen Writer Alan Moore Set to Occupy Comics After Spat With Frank Miller », www.geeksofdoom, December 6th, 2011). Pourtant, comme le souligne Sara Lima, V for Vendetta demeure une excellente bande dessinée même si Alan Moore y revendique l’anarchie comme la meilleure forme de gouvernement (« Do Politics in Comics Alienate Readers? », www.comicvine.com, 6 octobre 2011).
Pour notre part, nous considérons qu’une œuvre artistique ne devrait jamais être écrasée par une métaphore politique ou sociale, ses personnages deviennent désincarnés et ont comme unique rôle d’être les porte-paroles de l’auteur. Si l’auteur veut passer un message politique ou social fort, autant écrire un essai.
-
les personnages doivent-ils être considérés différemment selon leur sexe?
Sara Lima posait une excellente question : « How to Wrtite A Strong Female Character? (Comment écrire un personnage féminin fort?) » (« Greg Rucka on How to Wrtite A Strong Female Character », www.comicvine.com, 8 décembre 2011). Lors des premières phases de notre projet, il était évident que nous étions en présence d’un univers très masculin. Encore récemment, nous voyions que certaines aventures ne contenaient que des hommes. Pendant longtemps, nous avons hésité à développer des personnages féminins considérant que nous n’avions pas tout le bagage pour développer une psychologie féminine élaborée. Mais nous cherchions dans la mauvaise direction : ce ne sont pas des personnages féminins qu’il faut développer, mais des personnages forts qu’il faut créer. Nous disons fort dans le sens de complexe avec des zones de lumière et d’ombre, et des motivations avouées ou enfouies. Une fois ce constat fait, il n’y a plus de contrainte au processus créatif.
-
Arrêter la fuite en avant
Dans une critique sévère publiée il y a quelques mois, Graeme McMillan accusait quelques-uns des grands auteurs contemporains de bandes dessinées américaines d’être les responsables de la stagnation de l’industrie. Il affirmait : “« For an industry that feeds on its own past to go 20 years without fresh characters or concepts is death. The most telling sections in “Leaping Tall Buildings” are thus those written about industry powers like Brian Michael Bendis, Joe Quesada, Grant Morrison and Dan DiDio. » These are the men most responsible for the failure of the big publishers to take advantage of the public’s obvious fascination with men in capes.. (« The Four Men Who Have Destroyed the Superhero Comic Industry », www.newsarama.com, 30 mai 2012).
Est-ce un problème d’auteurs ou la volonté des éditeurs que de créer des événements. Nous considérons que Chris Sims pointe deux problèmes majeurs dans son analyse de l’évolution de la bande dessinée depuis les années 1990. D’abord, la montée en puissance des collections qui tend à mettre de la pression sur les numéros 1 d’une série indépendamment de son développement futur ou de ses qualités artistiques. Ensuite, les événements publicitaires s’avèrent contre-productifs. Sims prend en exemple la « mort » de Superman : « DC’s bright idea of « killing » Superman, which produced one of the best-selling comics of the modern era. In retrospect, it’s pretty clear to me that this was probably a terrible idea — and not just because it was a story where Superman and a giant bone monster in green bike shorts punched each other to death. It’s great that they sold a million comics and bought Dan Jurgens a solid gold statue of Booster Gold or whatever, but they also had a truly massive amount of media coverage that told people that Superman was dead, and lured them into a shop where they bought a comic that — if they bothered to actually pop open the polybag and read it — ended with Lois Lane cradling Superman’s lifeless body. In real life — in most fiction — that tends to be the end of things. They told the biggest potential audience they had ever had that Superman was dead. Dead. Which, to rational people who are not familiar with how comic books work, means « there will be no more Superman stories so it is completely unnecessary for you to ever return to this shop and buy another one of these. » », (« What’s Up With the 90s », www.comicsalliance.com, 27 juillet 2012).
-
Créer l’événement
Comme nous le disions dans un commentaire fait par le passé, les changements d’auteurs se veulent souvent une façon de relancer les ventes d’une série. L’auteur n’est pas toujours suffisant, il faut créer l’événement. Chichester l’admettait dans une entrevue dans laquelle il expliquait que le changement de costume de Daredevil au début des années 1990 se voulait une façon d’attirer l’attention des lecteurs sur la série et ainsi de positionner les autres changements de tons que l’on souhaitait introduire. (« Interview With D.G. Chichester (February 1998) », www.manwithoutfear.com).
Cependant, aujourd’hui, ces événements médiatiques deviennent souvent éculés. Tous les lecteurs savent bien que le décès d’un personnage principal n’est qu’une éclipse pour préparer son retour. Comme le dit Graeme McMillan : « It doesn’t help that it’s War in these teasers, a word that has similar weight at Marvel as “Crisis” does for DC. Between Secret War, Ultimate War, Civil War, Silent War, Chaos War and countless other wars that I’ve probably forgotten about (Oh! War of Kings, of course), the word has become almost meaningless in its attempt to suggest epic bombast, just like… Well, like the sight of Cap’s shield either cracked or splattered with blood, really. There’s an amazing sense of déjà vu from these trailers that’s unfortunate, especially considering that Avengers Vs. X-Men was already treading in “Haven’t I seen superheroes punching each other a lot recently in Civil War and X-Men: Schism?” waters. » (« I Don’t Wanna Live a War That’s Got Not End in Our Time », www.newsarama.com, 26 juin 2012).
-
La présence d’un « script editor »
Assurer la cohérence narrative est un grand défi. Principalement lors d’un changement d’auteurs. D’après nous, l’éditeur devrait avoir pour rôle d’assurer une transition harmonieuse, mais ce n’est pas le cas, car, le plus souvent, un nouvel auteur est l’occasion de relancer un titre, ce qui peut amener l’éditeur à accepter un changement de direction pas toujours élégant. Andrew Aardizzi émettait un commentaire très critique sur le travail de Mark Waid pour sa série Daredevil. D’après lui, l’auteur ferait table rase des plus récents événements et les dénierait même (« Episode 12: I Object! (to Mark Waid’s ‘Daredevil’) », www.comicbookdaily.com, 19 janvier 2012) .
La télévision offre une solution simple à un tel phénomène. Il est très rare qu’une série télé soit entièrement écrite par la même équipe d’auteurs. Un script editor verra à ce que les évolutions d’un auteur pour un épisode donné soient cohérentes avec la trame générale de la série.
Nous sommes actuellement dans la même situation. En effet, n’ayant pas assez de temps pour tout faire, nous avons préféré confier la rédaction des dialogues de certaines trames à un autre auteur. Nous veillons tout de même à vérifier son travail et à faire les ajustements nécessaires pour assurer la cohérence de notre récit.
Précisons que ce travail d’équipe à la rédaction est très enrichissant, car il permet de nombreux échanges, ce qui donne l’occasion d’approfondir notre réflexion sur les personnages.
